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Article / 6 min. de lecture - mise en ligne le 13/09/2023

Loi de partage de la valeur au sein de l'entreprise : faut-il vraiment s'en réjouir ?

Loi de partage de la valeur au sein de l'entreprise, bonne ou mauvaise mesure ? Décryptage avec Xavier Roussillon, CEO de la startup FUTURZ qui propose un dispositif d’actionnariat salarié alternatif.

Le 29 juin 2023, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture, le projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise. Ce dernier prévoit, entre autres mesures, d'étendre des dispositifs tels que l'intéressement, la participation ou les primes de partage de la valeur (PPV ou « prime Macron ») à toutes les entreprises de plus de 11 employés.

Dans quelle mesure ce projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise est-il une proposition prometteuse ?

Cet accord est à l’initiative des syndicats de dirigeants et des syndicats de salariés. Tout le monde semble donc s’accorder autour des bienfaits de ce texte et y voir un intérêt. Et un tel alignement, c'est forcément une bonne nouvelle !

Quant aux fondements de ce projet de loi, ils reposent sur une vision qui va au-delà de la simple maximisation des profits pour les actionnaires. Ils cherchent à reconnaître le rôle crucial des travailleurs et des autres parties prenantes dans la création de valeur patrimoniale au sein de l'entreprise. L'objectif est de garantir que cette valeur soit distribuée de manière plus équitable, offrant ainsi une meilleure rémunération aux employés, renforçant l'engagement global envers la croissance et le succès de l'entreprise. En renforçant le lien entre la performance de l'entreprise et le bien-être de ses employés, le projet de loi améliore la productivité, stimule l'innovation et crée une plus grande cohésion sociale au sein des entreprises.

Enfin, le timing est favorable. Avec l'influence marquante du Big Quiet, les préoccupations liées à la marque employeur se sont intensifiées. Les entreprises recherchent des leviers à activer pour recruter et surtout retenir les collaborateurs. En accroissant la valeur du capital humain, le projet de loi adresse directement les défis actuels auxquels les dirigeants font face en termes de recrutement et de fidélisation de leur force de travail.

Comment prévoit-il de faire en sorte que les collaborateurs bénéficient directement des performances financières de l'entreprise ?

Ce projet de loi compte 15 articles répartis en quatre axes :

  • Renforcer le dialogue social sur les classifications des emplois ;
  • Faciliter la généralisation des dispositifs de partage de la valeur ;
  • Simplifier la mise en place de dispositifs de partage ;
  • Développer l’actionnariat salarié.

Le nouveau plan de partage de la valorisation de l’entreprise sera mis en place par accord et devra bénéficier à tous les salariés ayant au moins un an d’ancienneté. En cas de hausse de la valeur de l’entreprise lors des trois années de durée du plan, les salariés pourront bénéficier d’une « prime de partage de la valorisation de l’entreprise ». Cette prime pourra être placée sur un plan d'épargne salariale. Autrement dit, les salariés auront la possibilité d’affecter la prime de partage de la valeur (PPV) sur un plan d’épargne salariale ou un plan d’épargne retraite, avec abondement éventuel de l’employeur au même titre que l’intéressement, la participation ou les versements volontaires.

Quelles sont les limites de ce projet de loi ?

Si les fondements et les valeurs qui sous-tendent ce projet sont louables, les choses sont plus complexes qu’elles n’y paraissent. Ce projet de loi est encore trop limité car les solutions qu’il propose ne concernent que trop peu d’entreprises et de collaborateurs.

Premièrement, le plan de partage de la valorisation de l’entreprise prévoit une prime de partage de la valeur (PPV) pour les salariés en cas de hausse de la valeur de l’entreprise lors des trois années de durée du plan. Mais ce sont bien les entreprises qui vont payer et verser ces primes aux salariés. Ces dépenses vont donc irrémédiablement peser sur leur trésorerie. Il faut d’ailleurs faire le distingo entre valeur d’entreprise et bénéfices ; une entreprise peut prendre de la valeur sans augmenter ses bénéfices. C’est donc bien une charge additionnelle qui peut empêcher le dirigeant de mener à bien d’autres projets.

Deuxièmement, inciter les salariés à placer leur PPV sur un plan d'épargne salariale en entreprise (PEE) et penser que cela va les motiver à s’impliquer davantage dans la réussite de LEUR propre entreprise est un leurre. Pour la simple et bonne raison, qu’il est rare qu’un PEE flêche vers la performance de sa propre entreprise car cela coûte trop cher à maintenir. Une société de gestion prend classiquement 1% de frais sur l’encours et n’est pas intéressée à moins de 40 000 euros par an pour la gestion du fonds d’épargne salariale. Il faut donc 4 millions d’euros d’encours sur le fonds fléché sur une entreprise pour pouvoir le proposer dans un PEE. Pas étonnant que pratiquement aucune PME et moins de la moitié des ETI françaises mettent ce type d’investissement en place. 40% des salariés français ne peuvent donc pas investir dans leur propre société et être véritablement acteurs de la croissance de leur patrimoine placé sur dans leur PEE. Et si les salariés des PME ne peuvent pas investir dans leur entreprise (comme le font ceux des grands groupes qui ont des PEE fléchés sur leur entreprise), ils ne vont pas percevoir les fruits de leur travail. En d’autres termes, le dispositif de partage de la valeur ne tient pas ses promesses et prive un grand nombre d’entrepreneurs de la substance même de ce bel outil de motivation et de rétention.

Quant à l’actionnariat salarié avec l’attribution gratuite d’actions (AGA) pour les entreprises éligibles, ce dispositif pose également problème. L’actionnariat salarié implique en effet que le partage de la valeur soit associé à un partage de la gouvernance de l’entreprise (souvent avec des droits de vote) et un droit d’accès à des informations confidentielles, car les salariés deviennent actionnaires. Certes, la mise en place d’un plan d’actionnariat salarié n’impacte pas négativement la trésorerie de l’entreprise mais le partage de la gouvernance avec les salariés n’est pas nécessairement souhaité par les dirigeants. Il serait donc souhaitable de pouvoir dissocier la gouvernance du partage de valeur comme le fait le projet de loi en adressant la partie gouvernance dans les paragraphes décrivant les dispositions de gouvernance participative.

Dernier point : le temps de l’entreprise ne coïncide pas toujours avec le temps des collaborateurs. Les plans d’actionnariat salarié se dénouent souvent lors de la vente de l’entreprise. C’est à ce moment que les salariés encaissent leurs investissements. Mais souvent les collaborateurs ont besoin d'un coup de pouce à d'autres moments, lors des étapes clés de leur vie (achat d’un appartement, financement des études des enfants, etc.). L’actionnariat salarié tel qu’il est proposé aujourd’hui ne répond à ces enjeux. En effet, le placement en action de son entreprise est illiquide (qui ne permet pas une conversion facile en argent liquide) notamment du fait de la gouvernance attachée à cette détention d’actions.

Quelles sont les autres pistes à explorer pour créer un modèle de gouvernance équitable et responsable ?

Face à ces limites, il est rassurant de savoir qu’il existe des dispositifs d’actionnariat salariés alternatifs qui permettent de partager la valeur sans partager la gouvernance et qu’ils sont peu coûteux. Il est en effet opportun de réfléchir à des dispositifs alternatifs plus souples qui répondent aux exigences des collaborateurs. A ce titre, les Futurz qui permettent d’intéresser, de manière extrêmement simple, l’ensemble des collaborateurs (employés, freelances, advisors, partenaires) où qu’ils soient dans le monde à la prise de valeur de l’entreprise s'imposent comme une option stratégique. Afin de faire meilleur arbitrage possible, les dirigeants doivent pouvoir choisir parmi plusieurs dispositifs d’intéressement à la prise de valeur de l'entreprise et ne pas se limiter à deux options (PEE ou AGA).

Peut-être serait-il pertinent d’inclure dans le texte de loi une proposition permettant aux salariés de PME d’investir dans des produits structurés pointant vers la performance de leur propre entreprise, sans pour autant devenir actionnaire et entrer dans sa gouvernance. C’est ainsi que le collaborateur prendra ses responsabilités et travaillera pour faire croître son investissement. De plus, il bénéficiera d’un investissement beaucoup plus liquide dont il pourra disposer selon ses besoins personnels sans lien direct avec le calendrier de l’entreprise.

En conclusion, le projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise représente une avancée vers un modèle économique plus équitable, responsable, inclusif et durable. La volonté de rééquilibrage des rapports entre les différentes parties prenantes et la reconnaissance de la contribution essentielle des travailleurs à la création de valeur patrimoniale de l’entreprise est essentielle à l’émergence de nos PME comme des champions de l’économie. Ce projet de loi a le mérite d’ouvrir la voie à des discussions intéressantes. Encore faut-il prendre le temps d’explorer toutes les voies possibles en matière d’incentive collaborateurs pour qu’il ne soit pas, au contraire de son objet premier, un nouveau fil à la patte des entreprises.

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