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Article / 6 min. de lecture - mise en ligne le 29/11/2022

Comment gérer « l'après levée de fonds » ?

Comment gérer « l'après levée de fonds » auprès de ses équipes, de ses clients, de ses partenaires et comment prioriser ses choix stratégiques dans la foulée… Réponse avec Paul Courtaud, CEO de Neobrain.

En amont : Comment préparer ses équipes à la levée de fonds ? Quand en parler ? Quels collaborateurs mettre dans la boucle ?

Avant toute chose, je rappellerais qu’un process de levée de fonds est rythmé par de nombreux rebondissements avec une dose d’incertitude.

Il y a plusieurs phases :

  1. Préparation / dimensionnement de la levée : cela se discute d’abord avec les actionnaires (hypothèse de valorisation, montant levé -> entre 20 et 30% à chaque tour). Une fois que la décision est prise de lever des fonds, on en discute en priorité avec son comité de direction car, pendant le roadshow (période pendant laquelle l’entreprise fait la tournée des investisseurs potentiels ou des fonds d'investissement dans le but de les convaincre d’investir), le CEO y consacre à minima 50% de son temps. Il faut donc prévoir le relai car c’est aussi une forme de test : pendant ces 2 ou 3 mois, les fonds veulent voir que l’entreprise tourne, même lorsque le CEO n’est plus complètement aux commandes.
  2. Pour la communication aux équipes, il y a plusieurs écoles : transparence ou communication en bout de course. Ma préférence : la transparence. La levée de fonds met sous tension l’entreprise et il vaut mieux que les équipes en comprennent le sens. En revanche, il est nécessaire qu’aucune information ne sorte sur le timing de la levée ou même de l’annonce. Cette information peut être utilisée par un concurrent pour réaliser des communications perturbatrices.
  3. Une fois la levée bouclée, nous annonçons en interne :
  • Le montant levé et les fonds (qui sont-ils, pourquoi ont-ils décidé d’investir dans la société…)
  • Les actions prioritaires mises en place suite à la levée
  • Le plan de communication associé

Dans la semaine qui suit : on fait l’annonce publique.

Comment transformer cette étape en instant clé pour les collaborateurs ? Comment les inclure à ce process et en profiter pour doper leur engagement vis-à-vis de l’entreprise ?

La perspective de la levée est enthousiasmante, cela donne le sentiment d’être à bord du bon bateau. Un gros montant c’est chouette mais, pour embarquer les équipes, il faut projeter des projets concrets et expliquer la stratégie : perspectives de développement, d’évolution dans 2 ou 3 ans et le chemin pour y arriver. Il est essentiel également de chiffrer le coût de ces projets pour pouvoir expliquer le montant de la levée, le justifier.
Si l’on ne passe pas par cette étape essentielle, si l’entreprise annonce une levée sans projet concret et tangible, elle ouvre la porte à des demandes d’augmentation démesurées et impossibles à satisfaire.

Une fois la levée de fonds assurée, comment prévenir ses partenaires ? Et ses clients ? Comment le leur annoncer pour les rassurer ? À quel point faut-il en parler avec eux ?

Les clients clés de l’entreprise sont en réalité interviewés dans les phases avancées du roadshow. Les fonds demandent des appels de référence pour :

  • Comprendre l’usage du produit / service par nos clients
  • Vérifier notre positionnement par rapport à la concurrence

Si le tour se passe bien et que suffisamment de fonds sont intéressés, un client peut être sollicité pour témoigner jusqu’à 8 fois. Cela implique un haut niveau d’engagement de sa part, c’est pour cela que nous embarquons nos clients dans l’opération bien en amont.

Comme je l’ai mentionné précédemment, les collaborateurs, eux, doivent être mis dans la confidence assez tôt, tout en ayant à l’esprit à quel point il est important de matérialiser nos ambitions et visions accélérées par la levée de fonds. Celle-ci est avant tout là pour avancer sur l’innovation produit, pour renforcer les usages et donc apporter des résultats toujours plus satisfaisants à nos clients.

Les partenaires, quant à eux, doivent être prévenus de façon plus personnalisée. Ces communications individualisées sont gérées soit au niveau du CEO soit par les 4/5 personnes les plus proches de lui. Si ces annonces sont toujours réalisées en amont de la communication globale, rien ne nécessite de le faire trop tôt, un délai de 5 jours précédant l’annonce officielle est largement suffisant.

Comment ne pas perdre pied après une levée importante ?

C’est le plus grand risque après une levée de fonds. C’est grisant et cela fait couler de l’encre. L’annonce de la levée de fonds dans de nombreux médias facilite la montée en puissance de la notoriété mais il faut que le message soit bien préparé et les relais identifiés avec précision. L’erreur serait de penser que la notoriété fait vendre. Ce n’est pas le volume de parutions qui rapportent des signatures mais bien l’image positive induite par la levée. C’est cela qui nous aide à closer mais le job derrière ne change pas.

Si je devais résumer, je retiendrai deux tips :

  • Avoir un plan bien défini en amont pour n’avoir qu’à se concentrer sur son exécution une fois les annonces faites.
  • Garder un focus extrêmement fort sur les indicateurs de pilotage de l’entreprise : la seule chose qui valorisera l’entreprise c’est sa performance (croissance, rentabilité, assets créés…), pas le nombre de flatteries.

Comment ne pas perdre le lead sur son projet, son entreprise (hors aspect financier de la levée) ? Ne pas se laisser happer par les avis des investisseurs ? Des fonds ? Des conseillers (banques d’affaires et autres)… ?

Pendant le tour, il faut faire confiance à sa banque d'affaires, que l’on prendra soin de ne pas mandater trop tôt. Elle réalisera sa mission de conseil en stratégie qu’un entrepreneur n’a, en réalité, jamais le temps de gérer.

Le tour implique une parfaite maîtrise de son business (KPI clés, ressources, stratégie, concurrence, etc.). En réalité le processus de levée de fonds est un incroyable moyen de vérifier la solidité de son modèle et de sa stratégie.

Il est simple de se laisser aveugler par le montant levé et la valorisation de l’entreprise (on est vite virtuellement millionnaire… sur le papier) pour ne plus veiller assez à l’élément clé : la gouvernance. Gardez en tête de bien vérifier :

  • Les droits de vote / composition du Board
  • La liste des décisions à la main de l’entrepreneur
  • Les décisionnaires en cas de conflit : on ne peut pas gouverner correctement si l’on ne sait pas quelles sont les conditions en cas de désaccord.

Une levée s’apparente à un mariage, avec une date de divorce programmée. Au-delà de toutes les précautions, contrats, etc., il faut choisir le / les bons partenaires financiers. Certains fonds sur le marché se démarquent par leur mindset entrepreneurial comme Breega ou XAnge.

Comment prioriser et échelonner les investissements post levée de fonds ?

Tout le plan doit être prêt avant la levée : sans quoi les fonds n’investissent pas (ils « achètent » un business plan / budget de levée).

Les méthodes d’engagement des moyens bougent rapidement. Jusqu’à présent, le marché financier demandait une croissance à tout prix. Il fallait donc engager vite les ressources pour garantir une croissance à trois chiffres.
En 2023, les levées ralentissent et demandent un engagement des ressources plus progressif : recruter par batch de 4 ou 5 personnes et non par 10 ou 20. Les fonds demandent d’étendre le runway (le temps pendant lequel une start-up encore déficitaire a du cash disponible, sans nécessité d'une nouvelle levée), voire de passer rapidement le seuil de rentabilité, même si cela implique de réduire la croissance. Cette tendance est partagée en Europe et aux États-Unis.

Après cette étape clé de la levée de fonds, doit-on directement s’atteler à de nouveaux projets ou doit-on malgré tout prendre le temps d’intégrer les changements intrinsèques à une levée de fonds conséquente ?

L’entreprise va grandir vite et changer de dimension. Les missions du CEO mais aussi celles de nombreux membres de l’entreprise vont changer en quelques mois (nouvelles responsabilités à prendre, d’autres à déléguer…). L’entreprise doit concrètement vivre deux vies en parallèle : exécuter son activité ET structurer / se préparer à grandir.
Une erreur à éviter : penser que toutes les équipes sont faites pour le projet de structuration. Certains collaborateurs sont plus à l’aise dans le day to day, alors que d’autres excellent dans ces projets de structuration (processus, outils, recrutement, etc.). Il faut donc bien identifier les projets de structuration prioritaires et les confier aux bonnes personnes.

Dernier tips : en tant que CEO, il ne faut pas délaisser les recrutements. C’est en réalité la plus importante mission durant cette phase de croissance. Même si la start-up dispose d’équipes RH ultra-performantes, le CEO doit y consacrer 20 à 40% de son temps pendant les mois qui suivent la levée, car les équipes et leur engagement restent la clé pour continuer d’avancer !


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