Medtech - Les yeux : miroirs de l’âme, mais surtout du fonctionnement de notre cerveau

Aider à identifier les troubles neurologiques des années avant l’apparition de symptômes visibles et suivre leur évolution de manière objective, telle est le projet de neuroClues, une startup qui développe un dispositif médical basé sur l’eye-tracking.

Comme la cancérologie il y a 20 ans, la neurologie est aujourd’hui à l’aube d’une révolution. Il devient désormais envisageable, grâce aux progrès technologiques et aux apports de l’Intelligence Artificielle, de diagnostiquer les maladies neurologiques, plusieurs années avant l’apparition des premiers symptômes. Et, peut-être, demain, saurons-nous soigner ces troubles, aussi complexes que mystérieux. La médecine, ainsi, est en passe de repousser ce qui constitue l’une de ses dernières frontières : le cerveau humain !

Tribune d'Antoine Pouppez , CEO et cofondateur de neuroClues® et Pierre Pouget, directeur de recherche CNRS (Institut du Cerveau), co-fondateur et conseiller scientifique de neuroClues®.

Détecter les signaux d’un trouble neurologique en un clin d’œil

Aujourd’hui, près d’un milliard de personnes dans le monde sont affectées par des troubles neurologiques1. Un chiffre en constante augmentation lié, entre autres, au vieillissement de la population et aux facteurs environnementaux. Ces maladies entraînent à terme d’importantes pertes d’autonomie et sont souvent détectées à un stade déjà avancé. La maladie de Parkinson, par exemple, dégrade les neurones qui produisent la dopamine, une des quatre hormones du bonheur, responsable, notamment, de la modulation du mouvement. On estime aujourd’hui, qu’en moyenne 65 % de ces neurones “dopaminergiques” sont déjà atteints au moment du diagnostic

Pourtant, depuis plusieurs décennies, la science offre la perspective d’identifier ces troubles neurologiques bien avant l’apparition des premiers symptômes. Comment ? En observant certaines variations dans les mouvements oculaires. Plus de 80% de l’information traitée par notre cerveau est, en effet, visuelle2. L’être humain produit plus de trois mouvements oculaires chaque seconde. En utilisant la fréquence de ces déplacements et leurs paramètres moteurs, il est possible, par exemple, de repérer la déficience de certains neurones, jusqu’à cinq ans avant la manifestation des premiers signes visibles, tels que les troubles associés à la marche !

Démocratiser le dépistage précoce

Pourquoi, alors, ne pas utiliser ces données, dont la fiabilité a été prouvée par plus de 100 000 publications scientifiques. La raison est la suivante : la mesure de ces mouvements requiert l’accumulation et l’analyse de quantités astronomiques de données qui se heurtaient jusqu’à présent à l’absence d’une technologie suffisamment puissante et simple pour être utilisée en routine clinique. Les équipements nécessaires étaient volumineux, coûteux et compliqués à utiliser ; les analyses, lentes et complexes, nécessitaient, quant à elles, une expertise pointue.

Aujourd’hui, tout s’accélère. Les examens peuvent désormais être effectués avec un  casque de mesures, équipé d’un logiciel permettant le partage de données via le Cloud. Plus besoin de local, ni de formation spécifique : cet équipement tient dans un sac à dos ou une petite valise. Demain, un médecin généraliste ou encore un professionnel de la vision, pourrait pratiquer cet examen au sein de son cabinet ou de son officine, et effectuer ainsi un premier contrôle, avant d’orienter son patient vers un spécialiste : une solution potentielle pour libérer des places dans les hôpitaux et cabinets spécialisés, mais aussi pour améliorer la prise en charge et donc la vie des patients !

Des bénéfices pour le patient, le praticien, mais aussi la société

Les bénéfices du diagnostic précoce des troubles neurologiques et neuropsychiatriques vont encore plus loin. En étant diagnostiqué tôt, le patient évite des mois voire des années d’errance médicale ponctuées d’examens invasifs ou coûteux. L’examen oculomoteur offre par ailleurs, grâce à sa nouvelle facilité d’utilisation, la perspective de mesures quantifiées de l’évolution de la maladie.

En effet, si le cours de celle-ci ne peut être enrayé, il peut en revanche être modifié en adaptant son mode de vie, notamment grâce à la pratique d'activités physiques ou de la kinésithérapie. Le patient peut également rejoindre des études cliniques, afin de faire progresser la recherche et de bénéficier des dernières avancées scientifiques, chose impossible à un stade plus avancé. Surtout, il est en mesure de mieux se préparer, en anticipant les dispositifs qui lui seront nécessaires une fois la maladie installée.

D’une médecine curative à une médecine préventive

Cette accélération des technologies médicales ou “MedTech”, s’observe d’ailleurs dans tous les secteurs : neurologie, mais aussi cardiologie, cancérologie, maladies chroniques. La révolution n’est pas seulement technique, elle induit un changement dans l’approche même de la maladie et de sa prise en charge. On passe d’une médecine curative, qui intervient a posteriori, à partir de symptômes étudiés à un instant T, à une médecine préventive, s’intéressant à l’évolution de la maladie à ses différents stades de progression. Tous les acteurs de la tech investissent aujourd’hui dans des solutions  qui nourrissent cette ambition : Apple avec son Apple-watch ; la start-up Grail, pour la détection précoce du cancer ou encore Neko Health, lancée par le PDG de Spotify, Daniel Ek, autour d’un scanner complet du corps alimenté par l’IA.

Nous ne sommes qu’aux prémisses de cette aventure ! En améliorant la détection, la Medtech ouvre des promesses extraordinaires. Demain, c’est notre rapport direct à la maladie, et tout particulièrement à celles qui touchent notre cerveau, qui sera bouleversé.

1 - Adam, Warwick et al. The Neuroscience of Parkinson’s (2020)
2 - Muriel Panouillères – Eyes tracking for neurological disorders and neurology – Affiliations P3Lab, CIAMS Laboratory at University Paris Saclay