Collage avec la femme et la déesse grecque utilisant des écouteurs
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Article / 6 min. de lecture - mise en ligne le 12/05/2022

« Si l'expérience est un levier de différenciation, c’est d’abord un état d’esprit d’entreprise »

Parce que la qualité de la relation reste la priorité absolue du marketing, il est important de repenser ce qu’est une personnalisation « véritable ». Interview.

Grégoire Pauty, Evangelist et Business Designer chez Adobe et Olivier Binisti, Regional Manager Western Europe chez Adobe, ont co-signé une tribune présentant la technologie comme un levier et non comme une finalité dans la relation client. Ils reviennent pour l'ADN Data sur les enjeux qui se cachent derrière la personnalisation de l’expérience client.

Dans une récente tribune vous avez déclaré que 96 % des responsables marketing français jugent bonne voire excellente leur capacité à proposer des expériences personnalisées alors qu’un tiers des clients (34 %) ne note aucune amélioration sur le sujet. Comment expliquer cette différence de perception ?

Olivier Binisti : Selon une étude Forrester, la France est l'un des pays qui propose la plus mauvaise expérience client de toute l'Europe. Cela tient au fait que les organisations se concentrent sur leur capacité à faire (équipes, technologie...) mais pas sur ce que veulent les clients. La différence de perception vient de là. La technologie est ce qui permet de faire, mais la technologie ne suffit pas. L’expérience client est une relation qui se construit sur la durée et qui nécessite que les organisations s’interrogent sur la valeur de leur produit pour le client final. L’idée est donc de savoir comment faire pour être pertinent par rapport aux besoins clients.

Grégoire Pauty : La question fondamentale est de savoir qui sont ses clients. Quand on parle d’expériences on parle d'interactions, d’échanges. Chez Adobe on parle à un large spectre d'entreprises et d'individus. Nous nous adressons aux utilisateurs de la technologie, en vue d’améliorer ou de moderniser un environnement de travail existant ou bien d’acquérir de nouvelles compétences, on est donc sur des aspects de change management et gestion des talents. Mais on s’inscrit aussi dans de grands programmes de transformation avec des entreprises qui cherchent à être plus performantes ou différentes et là nos interlocuteurs sont les décideurs. Et ce qui est très intéressant dans notre métier, c'est que généralement les gens à qui on s'adresse ne sont pas spécialement intéressés par la technologie, en revanche ils sont intéressés par la façon dont la technologie peut influencer la manière d'atteindre leurs objectifs.

On est toujours en train de regarder la manière dont on va impacter le business aujourd'hui, mais aussi le business dans le futur. Typiquement pendant longtemps on mesurait l’acte comme étant l'élément déterminant de la satisfaction alors qu’il y a énormément d'éléments constitutifs de l’acte d’achat. Notre travail est d’expliquer et d’aider les entreprises à prendre conscience de cette succession d'évènements pour être en mesure de les influencer et de les mesurer.

L’expérience client est-elle une stratégie d’entreprise ou un levier de différenciation ?

O. B. : L'expérience est un levier de différenciation, mais c’est d’abord un état d’esprit d’entreprise. Ce mindset se développe en France et on rencontre de plus en plus d’entreprises qui intègrent que les enjeux se situent moins au niveau du produit qu'au niveau du client. Mais dans les faits, c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. C’est une transformation complète. On l’a vécu chez Adobe il y a 10 ans en changeant complètement de business model et en faisant évoluer les interactions avec nos clients. Les enjeux ne se situent pas uniquement sur la façon dont on vend ses produits et sur la mesure de performance mais également sur la façon de faire travailler les collaborateurs. L’expérience client commence par une bonne expérience employé.

G. P. : Ce qui est au centre ce n’est pas la chaîne de production mais le client et ses besoins. Ce changement de paradigme appliqué au métier de l'automobile par exemple fait qu’aujourd’hui les constructeurs ne sont plus de simples vendeurs de voiture mais des acteurs de la mobilité qui permettent aux gens d’aller d’un point A à un point B. Dit comme ça, ça paraît simple mais c’est une transformation complète. Désormais leur activité consiste aussi à louer des voitures, à trouver des moyens de transport différents en interagissant avec d'autres acteurs, ce qui fait qu'on voit des grandes entreprises racheter des VTC, par exemple. Ces leviers de différenciation impliquent une vraie stratégie de transformation des outils et des méthodes de travail internes.

Vous dites « beaucoup d’entreprises confondent encore collecte massive de données et personnalisation véritable » ; pouvez-vous nous expliquer ? Les datas ont-elles pris trop de place au détriment de la relation client ?

O. B. : Comprendre les clients finaux ne passe pas uniquement par la data. La question essentielle est : que fait-on de la donnée ? La data nous sert à créer une relation, à comprendre les clients, à ne pas les harceler, à gérer la fatigue marketing, à identifier le bon moment pour interagir... L'ensemble de ces connaissances permet de créer une relation client sur la durée, de la faire vivre et de l’enrichir. Ce qui fait qu’un client reste fidèle c’est la connaissance qu'on en a qui nous met en capacité d’anticiper ses besoins, de le solliciter au bon moment. Il ne faut pas chercher à vendre tout le temps mais chercher à pousser le service utile au bon moment. Et là on rentre dans la personnalisation.

Le fait que de plus en plus de business model sont basés sur des abonnements change-t-il la relation client ?

O. B. : Bien sûr l’abonnement nécessite d’être constamment présent, de convaincre en permanence le client de poursuivre l’abonnement, ce qui change complètement la relation. Si on reprend l’exemple des métiers de l'automobile, le temps où on allait voir son concessionnaire pour changer de voiture en moyenne tous les 8 ans est en passe d'être révolu. Place à un business model basé sur l’abonnement qui nécessite d’innover en continu et d’avoir des équipes de customer success qui s’assurent que les besoins clients sont pourvus.   

G. P. : De manière globale, l’abonnement impacte le business. Pour une raison assez simple, qui est que l'usage est devenu beaucoup plus important que la possession. Cette évolution engendre un double impact. À la fois sur le modèle économique où on passe de la vente de produits manufacturés à la mise à disposition de produits et de services associés, mais aussi sur le modèle opérationnel, c’est-à-dire comment on délivre et on capture de la valeur sur le marché. Reprenons le métier de constructeur automobile. Une marque de voiture est traditionnellement une boîte qui crée des produits manufacturés qui sont mis à disposition d'un distributeur chargé de les vendre. Et comme finalement tous adoptent la même stratégie et le même modèle, la différenciation se fait principalement par la compétition et la publicité, sans jamais s’intéresser au client. Si on s'intéresse au modèle Tesla on se rend compte qu'il dépense 3000 dollars de R&D par véhicules vendus, ce qui lui permet de se différencier des autres constructeurs automobiles. Il a donc moins besoin de faire de publicité.

L'automobile illustre parfaitement les enjeux qui se cachent derrière le changement de paradigme où l'usage supplante la possession. Pour de nombreuses raisons posséder une voiture deviendra à termes quelque chose d'obsolète, ou un épiphénomène. En revanche, la question de l'usage quant à elle deviendra primordiale. Aujourd'hui, le covoiturage implique de nouveaux usages de la voiture. Il y a de plus en plus de personnes par voiture qu’auparavant, il faut donc occuper le temps de ces voyageurs. Autre évolution qui se profile : les voitures autonomes, qui impliquent d'ores et déjà de réfléchir aux façons d'occuper le conducteur. La réflexion aujourd'hui porte donc sur les offres d'expériences différenciantes. Ce sont de vrais sujets de transformation sur lesquels nous travaillons. Si on garde notre fil rouge de l’automobile, une partie de notre métier est désormais d’accompagner la réflexion qui consiste à envisager et à transformer l'automobile en un média support à la vente de services. S’il y a vraiment une rupture profonde dans les modèles opérationnels et business, c'est dans l'automobile que ça se passe en ce moment.

Dernière question, on parle beaucoup du métavers. Comment cela va-t-il impacter votre business et l'expérience client ?

G. P. : Par essence nous sommes prêts puisque notre métier consiste à produire des contenus. Toutefois, il faut faire attention à la manière dont on se positionne. Si je fais une analogie avec une galerie marchande, on y trouve des murs, des boutiques et ça, c’est le job de Meta, Microsoft ou Roblox… Et puis il y a ceux qui couvrent l'écosystème créatif et qui fournissent les contenus, à savoir la décoration des boutiques, les objets qu’on y trouve, les expériences qu’on y vit… Et ça, c’est notre métier. Notre responsabilité en tant qu’entreprise est d’aider les entreprises à créer des contenus et à les authentifier. Si on prend l’exemple de Nike qui vend des jumeaux numériques, il y a un besoin d’authentification et d’identification. Il y a donc tout un sujet autour de la méta catégorisation des contenus. Et puis en dessous de l'écosystème créatif, on trouve d'autres acteurs comme Community ou Nvidia qui fournissent l'énergie, la lumière, l’air conditionné. Et là il est nécessaire d'avoir des moteurs agiles et véloces. Chacun son job. Le métavers est un reflet de la vie réelle. Notre métier consiste à produire des contenus et à étendre les expériences dans un univers différent. Le véritable enjeu, c'est la maîtrise de son produit, de son image et de ce qu'on vend. Adobe continuera donc à créer des interactions digitales, de la publicité, du commerce, de l'analytique... dans le métavers, comme on le fait à travers un écran d'ordinateur ou un téléphone.

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